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Homélie du Cardinal Ratzinger

pendant und messe d’action de grâce après l’approbation pontificale de la Famille Spirituelle "l’Œuvre" en la basilique Saint-Pierre à Rome le 10 novembre 2001

Chers Frères et Sœurs dans le Seigneur,

Dans l’action de grâce de la Sainte Eucharistie, nous déposons aujourd’hui un merci spécial du fait que la Famille spirituelle “L’Œuvre” a obtenu la reconnaissance comme communauté de droit pontifical. Elle est ainsi totalement établie au cœur de l’Église et en même temps elle reste ouverte à l’Église universelle comme don du Saint-Esprit et comme chemin pour aujourd’hui et pour demain.

 

C’était une période sombre lorsqu’en janvier 1938 Mère Julia déposait cette petite graine dans la terre de l’Église et que commençait de cette façon la croissance de cet arbre. Lorsque nous parlons de ce début, nous devons toujours avoir en mémoire ce qu’elle-même affirme : “Je n’ai rien fondé. Depuis que Jésus-Christ a fondé l’Église, tout a été fondé. Ce dont Il a besoin, ce sont des personnes qui vivent à fond sa fondation.”.


Mère Julia n’a pas fondé une autre œuvre à côté de l’Œuvre de Jésus-Christ, mais elle s’est totalement consacrée à son Œuvre. Ainsi, elle nous invite tous à ne pas ajouter d’autres œuvres personnelles à côté de l’Œuvre du Christ, mais à nous donner à son Œuvre, à participer à son Œuvre, à vivre avec son Œuvre, de façon à être au service du salut du monde par Lui, avec Lui et en Lui. Elle a toujours tout fait pour le Christ, le Fils du Dieu vivant.


Elle savait que le Christ n’est pas un personnage du passé mais qu’Il vit toujours dans son Église. Dès lors, être avec le Christ consiste à être avec Lui là où Il continue à être présent dans le temps, dans la communauté de sa sainte Église. Elle savait aussi que ce qui caractérise la sainte Église est la mission du Successeur de Pierre, que là où est Pierre, là est l’Église, que celui qui veut être dans l’Église et près du Christ doit être près de Pierre.

De cette façon, sa personne nous mène au saint de ce jour, le Pape Léon le Grand qui nous montre à sa manière exactement ce que fut aussi le message de Mère Julia.

 

 

»Je n’ai rien fondé. Depuis que Jésus-Christ a fondé l’Église, tout a été fondé. Ce dont Il a besoin, ce sont des personnes qui vivent à fond sa fondation.«
Mère Julia Verhaeghe

Léon le Grand a conduit l’Église en des temps difficiles, de 440 à 461. C’était l’époque de l’effondrement de l’Empire romain d’Occident, l’époque des grandes invasions des Huns sous Attila, et des Vandales sous Genséric. A cette époque Léon le Grand a fait briller la lumière de la foi. La crise la plus grave de son temps ne fut pas de nature politico-militaire; à la racine des crises politiques se trouvent toujours des crises spirituelles. Il en fut ainsi au temps de Léon le Grand. Sans nul doute, après Constantin, l’Église était libre, les empereurs étaient catholiques et favorisaient l’Église. Cependant, dans le contexte de cette nouvelle liberté, surgissaient aussi de nouveaux dangers et de nouvelles tentations.

La première tentation consistait dans la soumission de l’Église et de la foi à la puissance politique, au pillage et à l’utilisation de l’Église au service du pouvoir, dans l’instrumentalisation de la foi à des fins politiques. L’empereur Constance II a dit un jour : “La loi de l’Église, c’est moi !” Voilà l’expression d’une profonde tentation, d’une altération de la foi qui ne pouvait que dégénérer en moyen de puissance politique.

La deuxième tentation était de nature idéologique. Elle consistait à assimiler la foi aux tendances régnant à l’époque. On parlait de l’hellénisation de la foi, c’est-à-dire d’un nivellement du don de Dieu, de la lumière de la révélation ramenée à la pensée humaine et à la culture de l’époque. En accord avec la grande philosophie grecque on disait : En réalité, Dieu ne peut pas avoir un fils, il s’agit là d’un concept mythologique. Dieu est loin. Dieu ne peut pas sortir de Lui-même et les fils de Dieu sont des grands hommes, c’est aussi le cas de Jésus. Il n’est pas vraiment Fils de Dieu. Il est un Grand de l’histoire des religions et de l’humanité ! Au Ve siècle, le siècle du pape Léon, après les premiers grands Conciles, on avait bien admis le mystère du Dieu trinitaire et la filiation divine de Jésus; cependant, on cherchait par d’autres voies à les adapter à la pensée ambiante : Le Christ n’est pas un homme au sens total car Il ne possède qu’une nature divine, disaient certains. D’autres répliquaient : Le Christ est totalement homme, c’est seulement au cours de sa vie qu’Il a pu accéder à la divinité. Le mystère était repensé selon des modes humains afin de le rendre intelligible. De cette façon précisément, ce qu’il y a de grand, de nouveau, de tout autre, que Dieu nous donne dans sa révélation, disparaît.


Face à cette grande tentation, saint Léon, éclairé par la sagesse de la foi, a mis en lumière la vérité de la révélation divine, cette vérité qui nous donne la vie et les fondements pour une bonne vie et une bonne mort. Saint Léon le Grand fut avant tout un maître de la christologie pour le grand Concile de Chalcédoine. Il a si bien trouvé les formulations que les Pères conciliaires ont approuvé sa lettre par les mots suivants : “C’est Pierre qui parle par la bouche de Léon”. En fait, contre les sophismes de la pensée humaine, cette lettre montre la profondeur et la simplicité de la vraie foi. Avec Pierre, Léon dit : “Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant !”.


Dans les formulations de ce dogme où apparaissent de manière égale la vraie divinité et la vraie humanité du Christ, saint Léon n’a rien découvert de nouveau; il n’a pas formulé d’idées nouvelles. Bien au contraire, il nous a invité à entrer dans la grande lumière donnée par Dieu et il nous l’a à nouveau montrée, cette lumière. Au cœur de la personne et du message de saint Léon le Grand se trouve la foi au Christ. C’est uniquement grâce à l’amour du Christ dont il était rempli, qu’il pouvait saisir la profondeur du mystère et poursuivre la mission qui avait été celle de Pierre. Ainsi, le mystère de Pierre, qui est le roc de l’Église, se retrouve ici présent dans ce témoignage : “Tu est le Messie, le Fils du Dieu vivant !”.

 

La primauté de la christologie, la primauté de l’amour du Christ et de la foi au Christ est le cœur du message de saint Léon le Grand. Naturellement, cette primauté christologique implique l’importance accordée à la foi au Christ et à l’existence de la sainte Église dans laquelle vit le Christ. Et quand saint Léon le Grand prête à nouveau sa voix à Pierre, il se révèle lui-même par sa profession de foi comme la pierre vivante. Il nous fait voir que la sainte Église est fondée sur le roc de Pierre, et il nous montre cette tripe réalité : la primauté de l’amour du Christ concrétisé par la vie de l’Église et à nouveau concrétisé dans le mystère pétrinien par la succession de saint Pierre toujours présent dans ses successeurs.

Nous voici, par saint Léon le Grand, ramenés à Mère Julia et à ce qu’elle a commencé, à cette fidélité nouvelle au Christ dans son Église. Si la “Sainte Alliance” se trouve au centre de “L’Œuvre”, ici encore il ne s’agit pas de quelque chose de nouveau à côté du Christ. Il s’agit d’une entrée dans la Nouvelle Alliance qu’Il a offerte, de l’Alliance fondée par le don de la Sainte Eucharistie, de l’Alliance qui vient du Cœur Sacré de Jésus, duquel ont coulé le sang et l’eau, les saints sacrements. La primauté que Mère Julia donne à la christologie, son amour du Christ, s’exprime dans l’amour envers le Cœur transpercé de Jésus. Ce n’est pas par hasard, je pense, que “L’Œuvre” s’est liée d’amitié avec Newman, avec sa devise Cor ad cor loquitur. Mère Julia a pensé à partir du cœur et c’est en partant du cœur qu’elle a reconnu le Cœur de Jésus, ce Cœur transpercé, source de l’Alliance, source de notre vie.

Quiconque s’engage en ce monde au service de l’amour, contraire à l’égoïsme qui est plus fréquent en l’homme, accepte des blessures, dit oui au Cœur transpercé, dit oui à la Couronne d’épines.

Quand vient s’y ajouter l’emblème de la Couronne d’épines, le sens de l’union au Christ devient clair : union à ses souffrances, cela signifie être prêt à prendre sur soi les blessures de la vérité. Quiconque s’engage pour la vérité dans un monde où le mensonge est plus commode, accepte des blessures sur sa propre personne. Quiconque s’engage en ce monde au service de l’amour, contraire à l’égoïsme qui est plus fréquent en l’homme, accepte des blessures, dit oui au Cœur transpercé, dit oui à la Couronne d’épines. Cette Couronne est la vraie Couronne royale du Christ qui se présente comme vrai Seigneur du monde et nous montre le visage du Dieu vivant, Amour et Pardon pour nous, jusqu’à sa mort. Dans la communion avec le Christ souffrant, nous nous trouvons au milieu des tourments de notre époque, mais dans sa splendeur, la splendeur de l’amour, car l’amour est plus fort que la douleur et que la mort.

L’approbation pontificale n’est pas une formalité juridique pour la Famille spirituelle “L’Œuvre”. Elle est davantage l’expression de ce qu’est cette Famille, une confirmation de son profond enracinement dans l’Église, ce qui constitue en même temps son union au Christ. Si nous comprenons ainsi le don qu’est “L’Œuvre”, et si nous nous laissons introduire par elle au mystère de l’Église jusqu’au Cœur de Jésus pour Le laisser illuminer le nôtre, il nous arrivera ce qui est arrivé à Mère Julia : elle a reconnu et vécu que le joug du Christ, apparemment si lourd, est léger parce qu’Il l’a porté pour nous et avec nous, et que ce fardeau est bienfaisant parce que c’est un fardeau d’amour. Nous voulons prier le Seigneur de nous accorder toujours davantage cette expérience et de nous aider à nous donner à l’Œuvre du Christ afin de contribuer au salut du monde. Amen


© Copyright “Famille spirituelle “L’Œuvre”.
 

 

S. Messe d'action de grâces le 10 novembre 2001